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La refondation du secteur de sécurité au Mali: les défis de la reconstruction

Contribution du Professeur Kissima GAKOU, Maître de conférences Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako

Avril 2016

Une contribution à la réunion "Civil Society Dialogue Network Member state meeting, L'engagement de l'Union européenne et des Pays-Bas pour les pays en situation de fragilité après l'adoption de l'Agenda 2030", qui a eu lieu le 13 Avril 2016 à La Haye, Pays Bas.

1. Contexte

En 2012, le Mali a connu la plus grave crise de son histoire avec une ampleur multidimensionnelle. Cette crise s'est manifestée par l'occupation des 2/3 du territoire, soit l'ensemble des régions du nord (Kidal, Tombouctou, Gao) et de Mopti par des groupes armés djihadistes et indépendantistes (MNLA, MUJAO, AQMI, Ança Eddine). Le coup d'Etat militaire du 22 mars 2012, conduit par des officiers subalternes, a précipité l'effondrement de l'Etat déjà malmené par des troupes rebelles lourdement armées en provenance de la Lybie post Kadhafi.

Le 11 Janvier 2013 l'intervention de la France (Force SERVAL) sous mandat des nations unies a marqué, depuis Konna, un coup d'arrêt à l'avancée djihadiste qui menaçait d'envahir le sud du territoire et ériger le Mali en califat islamique. La force SERVAL fut rapidement rejointe par les pays africains regroupés au sein de la MISMA. Cela a été suivi d'une mobilisation de la communauté internationale avec l'envoi de la MINUSMA. L'ensemble de ce dispositif a favorisé le rétablissement des institutions républicaines et le retour à la normalité, suite à l'organisation des élections présidentielles et législatives, (l'élection du président IBK en septembre 2013).

A la suite de ces élections, le Mali a engagé un processus de réconciliation et de reconstruction. Commencé par la signature de l'Accord de Ouagadougou (2013), après les élections, ce processus a continué à travers les négociations inter-maliennes à Alger, sous la médiation internationale avec comme tête de file l'Algérie. L'Accord pour la paix et la réconciliation, issu du processus d'Alger a été signé le 15 mai et le 20 juin 2015.

Malgré la signature de l'Accord, force est de reconnaître que le Mali, fait face à une récurrence du banditisme, et des actes terroristes (l'attentat contre la Terrasse à Bamako le 7 mars 2015, l'attentat contre l'Hôtel Radisson BLU le 20 novembre 2015 et l'attentat contre la base de l'EUTM le 21 mars 2016). On relèvera autant d'attaques terroristes contre les bases de la MINUSMA à Gao, Kidal, et Tombouctou.

2. Contextualisation de l'Objectif de la Session

L'objectif de la session étant: "Promouvoir l'avènement de sociétés pacifiques et ouvertes à tous aux fins du développement durable, assurer l'accès de tous à la justice et mettre en place, à tous les niveaux, des institutions efficaces, responsables et ouvertes à tous", j'évoquerais l'état de deux processus en terme de reconstruction au Mali, à savoir le processus de réconciliation et la réforme du secteur de la sécurité.
Photo: Gabriella Vogelaar ©

2.1. Le processus de la réconciliation

Le Mali post crise est face à un défi immense de réconciliation et de reconstruction. C'est pourquoi depuis la fin de la crise à travers l'organisation des élections générales de 2013 les autorités nationales ont annoncé que: "la réconciliation nationale est un élément structurant de la stratégie de sortie de crise et de création des conditions de paix et de prospérité durable, sans lesquelles aucun développement n'est possible".[1]

Pour la mise en oeuvre de cette politique de réconciliation, de nombreuses mesures ont été prises par les autorités nationales. En référence à la Déclaration de Politique Générale (DPG) du Premier Ministre Modibo Keita (le 11 juin 2015), on peut noter:

  • la mise en place d'une Commission Vérité, Justice et Réconciliation, au sein de laquelle toutes les communautés du Nord seront équitablement représentées;
  • l'élaboration et la mise en oeuvre d'un Programme de Développement Accéléré du Nord (PDAN) et la mise en place d'un Fonds de Cohésion et de Solidarité (FCS), instrument financier dudit Programme;
  • la mise en oeuvre de la Justice transitionnelle (nationale et internationale);
  • la signature de l'Accord pour la paix et la réconciliation nationale;
  • le renforcement de la cohésion sociale entre toutes les composantes de la société;
  • le redéploiement du personnel judiciaire;[2]
  • l'adoption de la Loi n°2012-025 du 12 juillet 2012 portant indemnisation des victimes de la rébellion du 17 janvier 2012 et du mouvement insurrectionnel du 22 mars 2012;
  • l'élaboration du projet de décret d'application de ladite loi est en cours;
  • la tenue des Assises sur le Nord du Mali;
  • l'organisation de fora locaux, régionaux et nationaux;
  • l'organisation de conférences, séminaires, ateliers et manifestations culturelles;
  • les rencontres intercommunautaires et intracommunautaires.

Dans le cadre de la signature de l'Accord pour la paix et la réconciliation, le Gouvernement s'attèlera également à:

  • l'élaboration d'une charte nationale pour la paix, l'unité et la réconciliation nationale;
  • la valorisation du statut des autorités traditionnelles.

Il convient de noter l'existence d'une politique volontariste et ambitieuse du Chef de l'Etat qui s'est concrétisée par la création d'un Ministère de la Réconciliation Nationale (MRN). Ce Ministère (MRN) a pour mission la charge de conduire une politique active de réconciliation nationale qui vise essentiellement deux objectifs: reconstruire les fondations de la réconciliation nationale et apporter une solution définitive aux problèmes du Nord.[3]

Pour ce faire ledit ministère soutient des actions novatrices en faveur du dialogue et de la réconciliation et plus précisément les projets de dialogue intra et inter communautaire. Il bénéficie à cet égard d'un soutien technique et financier de la GIZ-Mali au titre du Programme d'Appui au Processus de Dialogue et Réconciliation (PAPDR).

Il faut également souligner de l'avis des parties signataires eux-mêmes (Gouvernement, Mouvements, etc.) que la mise en oeuvre de l'Accord se caractérise par une certaine lenteur, qui contredit les professions de foi. Or, l'ensemble des acteurs s'accordent à "à considérer l'Accord comme un "outil", une opportunité de refondation de l'Etat, car il aborde de nombreux aspects de la gouvernance, des institutions et les questions de justice et de réconciliation".

2.2. Le processus de la mise en oeuvre de la RSS

L'état de la question au Mali:

La refondation du secteur de la sécurité au Mali s'inscrit dans une dynamique globale de refondation des forces de défense et de sécurité. La RSS est un processus holistique qui doit englober l'armée, la gendarmerie, la garde, la police et les forces paramilitaires.

L'objectif général de la réforme est de disposer d'une sécurité (protection de l'Etat et de la population) efficace et redevable, dans la bonne gouvernance, le respect des principes de l'état de droit et des droits de la personne.

Les objectifs spécifiques sont:

  • Aider le pays à se doter des capacités sécuritaires et judiciaires nécessaires pour créer un environnement sûr qui stimule le développement;
  • Mettre en concordance les politiques et l'organisation sécuritaires avec les principes et valeurs de la démocratie;
  • Instaurer un secteur de la sécurité efficace, efficient, redevable et respectueux des Droits de l'Homme.

Ancrage au plan institutionnel:

  • La RSS trouve son ancrage dans le Projet politique du Président de la République: "Notre vision sera celle de la sécurité humaine, avec … nos citoyens au départ, au centre et à l'arrivée du projet." (discours du Président de la République du 20 janvier 2014);
  • Le message politique de la RSS est réaffirmé dans la Déclaration de Politique Générale du Gouvernement à travers;
  • L'adoption en novembre 2013 du "PROGRAMME D'ACTIONS DU GOUVERNEMENT (PAG) 2013-2018" en 6 points, dont le 2ème porte sur "la restauration de la sécurité des personnes et des biens sur l'ensemble du territoire national";
  • La principale mesure envisagée dans le PAG fait référence à la Réforme du Secteur de la Sécurité (avec la modernisation subséquente des forces de défense et de sécurité);
  • Les résolutions 2100 et 2164 du CS des Nations Unies donnant, entre autres, mandat à la MINUSMA d'aider les autorités maliennes à rebâtir le secteur de la sécurité;
  • La mise en place du Groupe Pluridisciplinaire de Réflexion sur la Réforme du Secteur de la Sécurité (GPRS);
  • La création par décret n° 2014-0609/P-RM du 14 août 2014 d'un Conseil National pour la Réforme du Secteur de la Sécurité (CNRSS), avec un organe opérationnel: la Cellule de Coordination et des Comités Sectoriels;
  • La nomination par décret n° 2015-0141/P-RM du 5 mars 2015 d'un Coordinateur;
  • Le démarrage des travaux sur la refondation de l'Armée au MDAC (Ministère de la Défense et des Anciens Combattants), avec adoption d'une LOPM récemment votée par le parlement;
  • La mise en place d'un Comité sectoriel au MEF (Ministère de l'Economie et des Finances);
  • La mise en place d'un Comité sectoriel au MSPC (Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile). Qui finalise actuellement l'écriture d'une LOPSI avec l'appui de l'Union européenne.

Les défis de la RSS dans le contexte sécuritaire malien:

  • Le défi de la complexité: le processus RSS impose une bonne planification holistique depuis l'état des lieux jusqu'au suivi-évaluation en passant par la formulation d'une bonne vision de la RSS et une programmation cohérente des activités et des acteurs nationaux et internationaux;
  • Le défi d'une démocratisation mal maitrisée;
  • Le défi de la criminalité transfrontalière et transnationale organisée;
  • Le défi de l'instrumentalisation des forces de défense et de sécurité à des fins politiques;
  • La résistance naturelle de certaines franges de la société vis-à-vis du changement;
  • La pluralité et l'hybridation des menaces à la sécurité nationale;
  • Le défi de la corruption;
  • La diversité des acteurs impliqués dans le processus RSS.

2.3. L'UE et la mise en oeuvre proprement dite de la RSS au Mali

En Avril 2014 le conseil européen décide de créer une mission RSS au Mali, pour changer la gouvernance du secteur de la sécurité et consolider le lien entre autorités civiles et militaires. Cette décision intervient donc en droite ligne des préoccupations de l'Etat malien exprimées dans le discours du nouveau président élu IBK (cf. discours du 20 Janvier 2014).

Pour passer du discours aux actes, un décret est signé dans la foulée créant le conseil national de la RSS (CNRSS) qui "est un outil permanent et rassemblant tout le monde pour réfléchir au comment faire"? Un 2ème décret est pris nommant un coordinateur national à la tête de ce conseil. Il s'agit de M. Ibrahim Diallo ancien directeur de la police. Malgré ces bonnes dispositions pour la RSS, la réalité ne suit pas et les choses tardent à se concrétiser. Pour expliquer ce statuquo, les autorités maliennes évoquent deux (2) raisons:

1.       Nécessité de réécrire le décret de création du CNRSS, qui selon le ministère de la défense donne une prépondérance à la police au détriment de l'armée.

2.       La signature de l'accord de paix en mai et juin 2015 qui suggère l'intégration dans les FAMA, des mouvements signataires. Ce qui suppose avant toute RSS, l'intégration des ex-combattants. Par conséquent, les autorités maliennes disent attendre la fin des opérations d'intégration pour envisager la RSS promise.

 

Il faut toutefois souligner la création suite à la réécriture du décret CNRSS de trois (03) nouveaux conseils : RSS, DDR, et CI. Si les deux derniers sont devenus effectifs en Décembre 2015, la RSS pour l'instant est au point mort.

Parallèlement, militaires et policiers se voient dotés d'une LOPSI et d'une LOPM avec l'appui des missions européennes EUTM et EUCAP. Il y a lieu de se demander quand et comment cette RSS se frayera un chemin dans le paysage malien. En attendant l'Union européenne réfléchit à la sécurité par les frontières suite au sommet de la Vallette.

3. Questions Cles et Elements de Reponses

3.1. Comment faire en sorte que le soutien de l'Union européenne et des Pays-Bas à l'Etat malien, à ses institutions sécuritaires et au-delà, permettent la prévention des conflits à court et long terme?

  • Dans le cadre de la mise en oeuvre de la RSS, l'Union européenne et les Pays-Bas doivent veiller à apporter un soutien constant à moyen terme à travers notamment des expertises et des actions politiques de telle sorte que le processus de mise en oeuvre de la RSS, soit suffisamment crédible et efficace. Ces soutiens doivent viser les efforts de création d'un climat de paix et de sécurité. Pour ce faire, il s'agira:
  • d'appuyer le dialogue intercommunautaire inclusif nécessaire pour rétablir la paix
  • de contribuer au renforcement et la visibilité des associations islamiques pacifistes et modérés
  • de promouvoir la compréhension et la sensibilisation des citoyens sur le fonctionnement du pouvoir local.
  • L'Union européenne accompagne actuellement l'Etat malien, dans le cadre de la formation des forces de défense et de sécurité, à travers EUTM et EUCAP, il conviendrait d'acclimater le contenu des formations en prenant en compte les mentalités, les habitudes et les perceptions des bénéficiaires. Ceci est nécessaire pour générer des ressources humaines suffisamment efficientes au plan tactique et opérationnel.
  • La prise en compte des questions liées au respect des droits de l'homme demeure également une dimension importante mais pas suffisamment prise en compte dans les formations de EUTM et de EUCAP. Car en réalité, ces épineuses problématiques nécessitent d'être davantage soutenu au niveau national par l'inclusion de ces questions aux seins des stratégies nationales maliennes comme modalité de l'exercice même des fonctions militaire et de police.
  • Le soutien de l'Union européenne et des Pays-Bas, dans le processus de sécurisation des régions du nord au Mali demeure un enjeu crucial, il s'agira à cet effet d'accompagner l'armée vers la réalisation d'une couverture sécuritaire (maillage territorial) assez pertinente pour favoriser la lutte contre le banditisme, le terrorisme et démanteler les circuits des narcotrafiquants et renforcer le contrôle des frontières. En outre pour renforcer la légitimité et la capacité du gouvernement, il conviendrait de mettre l'accent sur:
  • l'assainissement du secteur de la justice qui doit être fonctionnelle et crédible (amélioration de la chaine pénale dans les zones d'intervention)
  • des processus politiques inclusifs (consolidation du tissu social politique et économique)
  • la sécurité humaine (refondation de la gouvernance de la sécurité)
  • la coordination de l'aide européenne et celle des états membres (éviter les duplications, agir sur les complémentarités...)
  • la vision de l'aide par des programmes à durée plus longue avec des objectifs réalistes
  • "l'acculturation" aux besoins réels plutôt que la reproduction systématique de référentiels occidentaux pas toujours adaptés
  • la recherche d'une aide "intégrée" qui évalue avant son déploiement les interactions entre les programmes (éviter qu'ils ne se neutralisent mutuellement).
  • La permanence de la liaison avec la mise en place de coordinateurs/Conseillers au sein même des entités soutenues qui puissent assurer un lien "réaliste" et sur la durée entre les structures d'appui et les autorités nationales.
  • Dans l'accord pour la paix et la réconciliation il est question de mettre en place une police territoriale. En attendant, une conceptualisation claire de cette police, celle-ci constitue d'ores et déjà un point de débat et de friction entre les services de sécurité eux-mêmes d'une part et les collectivités locales de l'autre. Ce contexte particulier nécessite une clarification préalable des missions et des procédures de fonctionnement de cette police. A cela s'ajoute la nécessité de renforcer les institutions locales dans le cadre de la décentralisation de telle manière qu'elles soient en capacité pour assurer la durabilité et le management d'un tel dispositif de service public. Le défi de la récupération politicienne ou communautaire étant un des enjeux qui planeront toujours autour de l'avènement d'une telle initiative.

3.2. Quelles sont les leçons à tirer du soutien apporté à l'Etat malien ces dernières années?

  • L'Union européenne et les Pays-Bas, comme de nombreux acteurs internationaux ont longtemps apporté des soutiens à l'Etat malien, dans le processus de renforcement des FAMA, mais par moment ces soutiens se sont montrés contreproductifs du fait, de leur usage contre les objectifs rationnels de la nation.
  • Les leçons du passé montrent la nécessité forte de construire une appropriation locale et nationale sur les enjeux liés à la reconstruction des FAMA et cela sur tous les plans humains, institutionnels, règlementaires et stratégiques au Mali. Des gages vis-à-vis de ces enjeux doivent être requis aussi bien au recrutement, à la formation qu'à l'évaluation et se traduire dans le comportement des FAMA par des nouvelles attitudes conséquentes, qui doivent désormais irriguer leurs rapports de proximité avec les populations.
  • Il est nécessaire que les FAMA et leurs hiérarchies compte tenu de la sensibilité de leur mission, disposent des capacités pour internaliser des principes de gouvernance, notamment de la redevabilité et la transparence.
  • Le gouvernement, le secteur privé et la société civile ont chacun un rôle à jouer. Dans le cas malien il est plutôt intéressant d'encourager ces trois différents acteurs à travailler ensemble le plus étroitement possible. La crise malienne ayant révélé à quel point peuvent conduire les ruptures profondes dans une société, et comment le manque de perspective peut faciliter l'implantation de groupes criminel et terroriste dans la société. C'est pourquoi la disponibilité actuelle des maliens à discuter de leurs problèmes doit aller de pair avec celle des bailleurs de fonds qui doivent revoir leur aide de manière fondamentale car cette aide fait partie du système de crise.
  • La criminalité organisée restera une question importante au Mali. Elle a été le terreau pour les activités terroristes et eu des liens avec le gouvernement et les partis politiques. Les réseaux vont au-delà du Mali lui-même. Par conséquent, lutter contre la criminalité nécessite une coopération régionale.
  • A l'échelle régionale, le Mali a été confronté à une instabilité croissante, une plus grande prolifération d'armes légères, la pression algérienne sur les troupes terroristes affiliés à Al-Qaïda et, après la chute de Kadhafi, le retour de rebelles Touaregs bien formés et fortement armés. Le mélange des combattants djihadistes et des combattants pour l'indépendance de l'Azawad a été un facteur décisif dans la crise de l'Etat malien. Il n'était plus possible de résister aux pressions extérieures et, par voie de conséquence la structure de gouvernance interne s'est effondrée. Le cadre régional très fragmenté avec des revendications divergentes et des alliances changeantes constitue un environnement propice au commerce illicite, au trafic international de drogue et aux intérêts géostratégiques régionaux et internationaux.

3.3. Dans quelle mesure ce soutien à l'Etat peut-il/ doit-il être contrebalancé par un soutien à la société civile?

  • Le peuple malien a soif de paix, de développement, de cohésion sociale et de justice. La population est sortie relativement en grand norme pour élire le président. Cela indique – du moins temporairement- la fin d'une période pendant laquelle la population et le gouvernement central se tenaient dos à dos. Le soutien de la communauté internationale devrait s'appuyer sur cet état de fait. Des partenariats, la participation active des acteurs maliens et la sensibilité aux besoins des populations seront nécessaires. Cela nécessite une approche plus politique dans la coopération entre le Mali et ses partenaires. Les approches techniques peuvent masquer les développements sous-jacents. Etant donné que le contexte politique du Mali a changé et offre de nouvelles possibilités, le contexte politique des bailleurs de fonds devra également changer. Il s'agira d'accentuer l'harmonisation au sein de la communauté internationale, et davantage "d'accompagnement" des institutions maliennes, un meilleur alignement avec les priorités de la politique du gouvernement et des efforts structurants sur les initiatives maliennes notamment celles de la société civile.
  • Le rôle des organisations de la société civile est déterminant pour éveiller l‘attention des citoyens, des élus et des gouvernements sur les grands enjeux démocratiques liés à la sécurité extérieure, la sécurité intérieure, les conditions d'exercice de la justice, les régimes de détention ou la politique d'immigration.
  • Dans cette perspective les bailleurs de fonds devraient apporter des soutiens techniques et financiers accrus aux initiatives locales et nationales, portées par les organisations de la société civile.
  • Ces organisations de la société civile renforcées pourraient assurer un suivi de la façon dont les forces de sécurité exercent leur mandat; et servir le cas échéant de lanceur d'alerte en cas de violation des droits de l'homme et de réservoir de propositions pour améliorer le dialogue entre les citoyens et les représentants des forces du secteur de la sécurité.[4]
  • Le Mali fait face aujourd'hui à de nombreux défis dans le domaine de la sécurité et de l'Etat de droit. Le premier défi est la nécessité de sécuriser le territoire, en particulier dans le nord. La France et le Tchad ont créé des conditions de base pour le retour de l'Etat dans le nord, mais des poches de résistance subsistent et la situation sécuritaire reste précaire. Les forces armées maliennes doivent être réformés pour assumer cette responsabilité. Cependant, aucune réforme n'aura d'effet durable sans un changement de gouvernance. Le citoyen devra commencer à jouer son rôle démocratique, en exerçant une pression politique sur le gouvernement pour le changement. Les inégalités traditionnelles devront être affrontées. Le renforcement du processus de décentralisation, ce qui signifie un transfert accru de ressources, mais aussi une meilleure surveillance et plus d'obligation de rendre compte, aidera à rapproche la gouvernance et les citoyens.

Conclusion

En guise de conclusion, je vais formuler quelques remarques concernant les approches de l'UE à travers la mission EUTM Mali. Certains observateurs estiment qu'il ya un paradoxe à former des bataillons qui sont immédiatement projetés sur le terrain pour lutter contre les insurrections locales (rébellion arabo-touaregs au Nord du Mali) dans le cadre d'une gestion de crise générale. Une telle situation, disent-ils, est de nature à créer des doutes sur l'engagement de l'UE pour une gouvernance de développement à long terme. Dans la même veine la mission EUTM qui est une formation de courte durée, ne génère pas nécessairement les changements escomptés notamment en terme de reconstruction et de contrôle légitime durable de la défense civile. La seconde remarque porte sur un raisonnement souvent entendu au sujet des anciennes puissances coloniales en Afrique et qui sont des Etats membres de l'UE. Certains de ces Etats sont accusés d'utiliser la mission UE pour poursuivre et consolider leur influence dans les anciennes colonies au profit de leurs propres intérêts stratégiques et de politiques étrangères. Si de telles présomptions sont validées, ce serait le pire scenario pour la cohérence et l'image de l'Union.

Enfin pour terminer, il semble également que les missions européennes de sécurité, sont confrontées au défi de "l'appropriation locale" si l'on en croit certains responsables de la sécurité militaire au Mali, qui soutiennent en privé, que la mission EUTM est loin des réalités du contexte opérationnel. Ces différentes approches et observations seront approfondies et étoffées par la recherche en cours, menée dans le cadre du projet WOSCAP finance par l'UE. A cet effet un rapport exhaustif complet sur le cas du Mali devrait être publié d'ici à Décembre 2016.

 



[4] Hugues de Courtivron, (2009), Pour une gouvernance démocratique du secteur de la sécurité, Forum pour une nouvelle gouvernance mondiale, p.25.



[5] Zeini Moulaye & Mahamadou Niakaté (2011), Gouvernance partagée de la sécurité et de la paix : l'expérience malienne, Friedrich-Ebert-Stiftung, p.5. 


[6] FMA, "Paix, sécurité, stabilité et développement: quelle gouvernance de la sécurité au Mali?", ARGA/ Actes du Forum multi-acteurs sur la gouvernance au Mali, 2011, p.159. 


 


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